lundi 13 septembre 2010

His story of violence


His story of violence

Passé
Je n’ai jamais su si j’étais gaucher ou droitier mais ce jour-là, c’est le poing gauche qui est parti.
Gauche ou droite, drôle de débat à l’intérieur d’un petit garçon en culotte courte que sa maladresse due à une latéralisation imparfaite  devait mener chez un psy puis chez une rééducatrice.
Et quand je dis petit garçon, je ne plaisante pas. Même après avoir redoublé mon cm2, je ne faisais qu’un mètre trente quand j’arrivai au collège. Proie apparemment facile pour les cinquièmes, je ne dus ma sauvegarde qu’à ma capacité d’effectuer des départs foudroyants clouant ces gros lourdauds boutonneux sur place.
Droite, j’écris à droite, fort mal mais sans difficulté. L’expression ne m’est pas difficile et l’orthographe naturelle. Ce sont ces capacités qui m’ont permis de ne pas avoir été orienté sur une voie de garage car en ce qui concerne le reste… le terme de cancre est celui qui convient le mieux.
Gauche, je mange à gauche, je lance la balle à gauche, je frappe à gauche…
J’ai armé le coup sans y penser. Un splendide crochet du gauche comme j’en distribuais de temps en temps depuis ma première année de collège quand mes sprints fulgurants ne m’avaient pas permis de me tirer des mauvais pas dans lesquels la vivacité de mon caractère m’avait plongé.
Il faut dire que Münch l’avait bien cherché. Ce n’était pas ma faute si son splendide vélo mi-course avait percuté l’arrière de mon tas de ferraille.
Le pauvre Münch ! A treize ans, il pesait déjà quinze kilos de trop et les autres ne manquaient pas de le lui rappeler. Il faut dire qu’il avait une maman aimante et attentionnée qui, en bonne Alsacienne, ne manquait pas de lui concocter maints plats aussi savoureux que caloriques.
Münch était ce que l’on appelle communément « un bon gros ». Voilà pourquoi je fus pris au dépourvu quand il m’attrapa par le col et me poussa devant lui en hurlant des insultes. J’avais dû toucher une corde sensible. Münch aimait son vélo plus que tout et je l’ignorais.

Présent
Je recule, littéralement balayé par la fureur du gros garçon, totalement surclassé par sa taille et son poids. Impossible de m’enfuir. 
Mon bras gauche a déjà pris sa décision. Pour lui, il est temps. Mes talons viennent de percuter à reculons la bordure du trottoir et je vais bientôt tomber à la renverse.
Le bruit est surprenant car exactement semblable à ceux que l’on entend dans les westerns lors des bagarres générales. Je ne m’attendais pas à cela : le claquement d’un battoir en bois sur une pièce de bœuf.
Le bruit fait se retourner des ouvriers travaillant sur la chaussée à une quinzaine de mètres de là.
Münch ne peut pas s’envoler et pourtant il s’envole. Il traverse la route en marche arrière et ne stoppe que quand la bordure opposée le fait s’asseoir brutalement.
Pas un cri, du sang, du sang et de la bave, beaucoup de sang, du sang et deux incisives qui tombent dans le caniveau entre les pieds du pauvre Münch.
Et moi, je regarde ça sans émotion, le droitier qui est en moi recroquevillé en position fœtale, le gaucher analysant froidement la situation. Danger ou pas danger ?
Les ouvriers interviennent vite et prennent en charge le blessé, ramassant ses dents et épongeant son sang. L’un d’entre eux s’approche de moi. Du fond de mon esprit monte une pulsion sauvage, je vais frapper à nouveau.
Soudain, je retrouve l’usage de mes jambes et je démarre. Je ne cours pas, je revis ; j’échappe à ce nuage de violence qui m’enserrait.
Je fais le tour de la cité à une vitesse hallucinante. Seul un bon cycliste aurait pu me rattraper dans cette succession de rues et de chemins caillouteux bordés d’immeubles.
Ma cage d’escalier, mon appartement. Personne à la maison ne voit ma main tachée de sang. Personne ne me voit depuis un moment, pas même moi. Tout le monde vit dans l’attente et la douleur. Chacun s’est construit un mur d’enceinte enserrant ses angoisses et ses souffrances. Papa va mourir dans quelques mois et nous sommes tous comme les statues de plâtre du cimetière : nous regardons la mort d’un œil vide et froid.
Je me lave les mains et constate que le sang de Münch s’est mêlé au mien. Il avait les dents en avant et elles ont laissé une marque profonde sur mes phalanges.
Je regarde le sang mêlé d’eau disparaître dans le siphon du lavabo. Je relève la tête. Je me vois enfin.

Futur
J’ai treize ans. L’année prochaine, je ne serai plus le même. Définitivement.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de passer le test de vérification de mots pour m'indiquer que vous n'êtes pas un robot.