jeudi 23 juin 2011

Fête des pères

Les sentiments, c’est un peu comme l’espace-temps qui se déforme à l’approche d’un corps massif. Certains événements sont si peu denses qu’ils ne perturbent que légèrement la trajectoire elliptique de notre existence.

Par contre, il est des moments dans la vie qui impriment une telle marque dans notre continuum émotionnel qu’ils agissent presque comme un astre, aspirant un peu de notre substance à chacun de leurs passages.

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Juin 1995
 
Trois mois sans traitement et voilà le résultat. Mon Ange, ce si beau petit garçon est dans la voiture un vendredi de juin avec Papa et Maman, direction l’hôpital Saint Vincent de Paul à Paris. La voiture connaît le chemin …

Un bonjour au lion de la place Denfert-Rochereau puis un coucou à la grenouille en céramique de la pelouse de l’établissement et nous voilà dans le service du professeur P... .

Je devrais prendre les choses avec philosophie et même m’estimer heureux vu les cas d’enfants malades que j’ai rencontrés depuis plus de trois ans de passage dans ce service. Et pourtant, les jeux, les couloirs colorés et les gentilles infirmières n’y font rien, je suis désemparé comme au premier jour.

Des examens, beaucoup d’attente… Il va falloir mettre au point un nouveau traitement. Les heures passent et mon Ange est pris en charge par une animatrice qui lui fait faire un peu de travail manuel.

Il est tacitement convenu que Maman restera sur place. Je n’ai ni la force ni l’envergure d’assumer l’hospitalisation dont on ne sait pas encore la durée… et puis, il faut que je m’occupe de ma Princesse.
 
*****
 
C’est le soir, je dois partir et mon Ange vient m’offrir un porte-clés constitué d’un anneau et d’un petit cœur rouge en cuir taillé à l’emporte-pièce, fruit de son travail avec l’animatrice. Dans deux jours, c’est la fête des pères. Je l’avais oublié.

J’embrasse mon fils tendrement ainsi que sa mère et je descends au sous-sol de l’hôpital où j’ai eu la chance de garer ma voiture.

Une fois assis dans mon véhicule, je suis submergé par la houle de mes émotions refoulées et je passe cinq bonnes minutes à pleurer le front sur mon volant.


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Depuis seize ans, telle une comète vieillissante, je reviens cycliquement à proximité de ce moment pour y perdre encore un peu plus de particules émotionnelles.

Sur une étagère de mon salon, un petit cœur en cuir rouge  continue de déformer l’espace autour de lui...



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