jeudi 16 juin 2011

Naguère, des écoles - Episode 11

 
Escargots et crottes de nez


J’ai toujours été un maître exigeant du genre : «Faites comme vous pouvez mais arrangez-vous pour que ce soit parfait.» ; évidemment, cela m’a valu une réputation, partiellement justifiée, de maître sévère.

Pour autant, je ne ressemble pas au Severus Rogue de Harry Potter, surtout quand j’enseignais aux petits CP. A cette époque, j’avais une mèche décolorée genre Tintin rock and roll et j’étais souvent chaussé de Docs vert pomme et autres chaussures bariolées.

Les enfants sont extrêmement sensibles à l’apparence, et la tenue d’un enseignant a automatiquement une résonance sur l’attitude des élèves. Je me souviens d’ailleurs très bien de la jupe très courte de ma prof de Latin en 5ème même si, en l’occurrence, cela n’a pas vraiment amélioré mon niveau dans la langue de Virgile.

Ma pédagogie, très « cadrante » se doit d’être adoucie par diverses techniques permettant de relâcher la pression due à la masse de travail importante que je sais imposer aux enfants.

L’humour est au centre de ces techniques. Je dirais même qu’il est indispensable à la connaissance car il permet de tout relativiser, il réveille et rafraîchit l’esprit, il instille le doute.

Avec moi, l’on se rapproche parfois de la bouffonnerie comme dans le cas des fameuses crottes de nez.


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En CP, on affiche énormément : sons, graphies, dessins, nombres, etc…
Pour ce faire, il vaut mieux recourir à des gommes fixantes repositionnables, cela ne fait pas de trous et ne laisse que peu de traces.

Dès le début de l’année, je prends l’habitude de nommer cette gomme du tordant vocable de « crotte de nez ».

Evidemment, les enfants pouffent et me demandent si ce que j’avance est vrai.

Le plus sérieusement du monde, je leur explique que dans les pays scandinaves, il fait très froid et les enfants ont souvent le nez qui coule. Avec l’accord des parents, des techniciens passent dans les écoles pour moucher les gamins et recueillent ainsi du mucus qu’ils envoient dans des usines où on le transforme en pâte fixante.

L’efficacité de la crotte de nez n’est plus à démontrer. Je me souviens d’ailleurs des petites déjections nasales qu’alors écolier je fixais sous mon pupitre et qui séjournaient ainsi bien rangées tout au long de l’année.

Les enfants d’aujourd’hui ne sont pas prêts à tout avaler mais le sérieux et la conviction avec lesquels j’avance ce genre de fadaise l’emportent généralement au début.

Ensuite, les élèves apprennent à me connaître et me trouvent moins sévère en intégrant mon côté farceur.

Au bout d’un moment, la crotte de nez, on ne leur fait plus même s’ils continuent d’en utiliser l’expression par amusement et habitude.

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Une année, alors que mon histoire de morve fixante était éventée, j’avisai un enfant secoué par une toux persistante et il me vint l’idée de lui conseiller de boire de la bave d’escargot pour se soigner.

Hilarité générale. Mes petits CP en fin d’année avaient déjà un peu d’esprit critique et trouvaient la ficelle assez grosse. Quel rigolo ce maître !

Pour me justifier, j’avançai le plus sérieusement du monde le fait que les sirops antitussifs étaient distillés à base de bave d’escargot. Je leur racontai même que le grand-père de mon épouse, célèbre homme des bois en Ecouves à son époque, mâchait des pieds de gastéropodes pour se soigner quand ses bronches le tracassaient.

Devant les ricanements de la plupart de mes petits sceptiques, je réitérai mes affirmations et j’avisai M… dont le papa était médecin :

« Tiens, toi qui es fils de docteur, tu vas demander à ton père si c’est bien de la bave d’escargot qu’on met dans les médicaments contre la toux. »

M… sourit mais nota quand même la question sur son carnet de leçons.

Le lendemain, dès l’appel de la cantine achevé, je posai la question au petit garçon.

« Alors, il a dit quoi ton papa ?

-      - Ben, oui, c’est vrai. Il m’a montré sur une bouteille (il lit son carnet avec lenteur) : Mucus d’Hélix Pomatia. Ça veut dire bave d’escargot de Bourgogne. »

Baaah…. Tout le monde fit la grimace d’avoir un jour ou l’autre bu de la bave d’escargot aromatisée à la fraise.

Quant à moi, je pris un air docte et triomphant et déclarai à mes élèves d’un air pince-sans-rire :

« Vous voyez bien que j’ai toujours raison, quand je pense que vous ne voulez plus me croire en ce qui concerne les crottes de nez, votre manque de confiance me désole… »

En dedans, j’étais plié de rire.





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