lundi 8 juillet 2013

Naguère, des écoles - Episode 14

 
Les petits mignons


Il y a des années comme cela ... Les CP de 1995 étaient adorables avec leurs grands yeux d'enfants sages qui attendaient patiemment que je leur apprenne à lire ; ils étaient restés de bons enfants calmes jusqu'en CM2. C'était ma première année dans cette école de centre ville. Chaque classe a sa personnalité et les années se sont succédé sans que je retrouve un groupe aussi gentil ou aussi calme. Et puis ...

Les petits mignons ont fait leur apparition dans ma classe  en 2009 alors que j'entamais ma troisième année de CE après douze ans de CP dans le même établissement. Trop de CE1 cette année-là, il avait fallu en mettre huit avec mes CE2. Les pauvres petits, ils étaient impressionnés d'avoir un maître qui ressemblait plus à leur grand-père qu'à leurs parents. 

Je me souviens des pieds qui se balançaient faute de toucher le sol, des couettes des petites filles studieuses, des rondeurs et des fossettes héritées de la petite enfance, des angoisses de ces petits perdus dans une classe de grands.

Dix mois plus tard, ces travailleurs acharnés avaient fait leur place et démontré qu'ils pouvaient être parfois meilleurs que les grands.

Ce fut avec plaisir que je repris ces huit élèves avec le reste du groupe en CE2 l'année suivante. Je fis ainsi connaissance de la promo complète née en 2002. Ce n'était plus des bébés mais des petits garçons et des petites filles studieux, perfectionnistes à l’extrême pour les plus brillants et bosseurs opiniâtres pour les quelques-uns qui présentaient des difficultés. Cette année fut un réel bonheur même si la séparation provoqua une fontaine de larmes de la part de petite M... dont le sourire avait pourtant éclairé le premier rang durant ces dix mois.

Un coup de tête me fit prendre le CM2 l'année suivante ; je crois bien que je n'avais pu me résoudre à quitter mes petits mignons qui me retrouvèrent ainsi après une respiration d'un an en CM1.

Les 2002 avaient maintenant dix ans et leurs pieds touchaient le sol. Je retrouvai ma classe de petites filles bien habillées et de petits garçons bien coiffés qui disaient "merci" à chaque exercice déposé sur leur table ou à chaque compliment sur leur travail. Bien sûr, il y avait quelques galopins mais ils étaient tout droit sortis des aventures du petit Nicolas et leurs bêtises ne portaient pas à conséquence. Quand le règlement de la classe n'était pas respecté, il suffisait que je demande qui était responsable pour que le coupable lève aussitôt la main. Même les nouveaux s'étaient mis au diapason comme ces grandes filles sages qui avaient trimé pour se mettre au niveau de leurs camarades ou ce petit Gitan de Martigues si sympathique qui effectua le dernier trimestre en notre compagnie et qui était si gentil et si bien élevé que je regrettai la disparition des prix de politesse et de bonne camaraderie qui lui auraient à coup sûr été attribués en fin d'année.

"Tu t'es égaré dans un roman de la Comtesse de Ségur, me disais-je souvent, ces gamins existent-ils vraiment ou deviens-tu mou à quelques encablures de la retraite ?"

Et puis arriva le troisième trimestre, moment délicat où les papillons ouvrent leurs ailes et où les filles se mettent à porter des brassières. Les petits mignons étaient aux portes de l'adolescence. Performants en matières classiques, ils n'en étaient pas moins bons en sport, pulvérisant les autres équipes de la communauté urbaine lors du traditionnel tournoi de mini-hand (31 victoires et un nul, de vrais warriors !) mais aussi en arts, produisant une superbe exposition sur Picasso qui fit l'admiration des parents. Ils étaient toujours aussi polis mais ils avaient changé. 

Ils avaient surtout changé dans leur attitude par rapport à moi. Ils n'hésitaient plus à me chambrer avec humour ou à négocier l'organisation du travail de fin d'année. Ils étaient devenus plus critiques et plus directs comme lors de ces séances de sciences sur la reproduction humaine où certaines filles me posèrent des questions qui auraient fait rougir maintes maîtresses débutantes. 

Ils allaient s'envoler vers le collège, me laissant encore une année à l'école pour me préparer psychologiquement à la retraite. 

******

Kermesse de l'école, je m'occupe du bar comme à l'accoutumée. J'ai la tête qui tourne un peu après deux Kirs cassis. On vient me chercher et voici que je me retrouve au milieu de ces galopins hilares qui me tendent des cadeaux : T-shirt, porte-clés, trousses en forme de baskets, bon d'achat Décathlon, tableaux peints par mes artistes : ils connaissent mes goûts et surtout mes couleurs, moi qui assortis systématiquement mes vêtements avec mes neuf paires de Converse. J'embrasse tout le monde et pars ranger mes cadeaux. C'est à ce moment que vois arriver ma grande A ... avec un plat contenant un surprenant présent : une Converse bleu turquoise en chocolat et sucre coloré. Je l'embrasse sans avoir à me baisser, elle n'a encore que dix ans mais fait presque ma taille. Je suis plus ému qu'elle mais ça ne se voit pas ...




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