vendredi 9 février 2018

Entre le gris et le blanc

Parfois, je me demande si ce siècle n'est pas en train de nous transformer en lagopèdes frémissants et pusillanimes... Trois flocons sur la France et c'est la panique que relaient stupidement médias et réseaux sociaux. Rendez-vous compte, il neige en hiver ! Moi qui ai vécu en Franche-Comté et qui suis allé à l'école en marchant à côté de congères presque aussi hautes que moi, je me gausse, et pas seulement Carl Friedrich...

N'empêche, notre séance marche nordique du vendredi est annulée car la Loi avec un grand Hell nous interdit d'emmener du monde en forêt par vigilance orange. Quand c'est orange, on se range ; quand c'est rouge, personne ne bouge. Mais quelle vigie lance ce genre d'ânerie ? Eh bien puisque c'est orange, pas de quartier même si je dois avoir des pépins, s'il me reste encore un zeste d'énergie, je dois bien être encore capable de conduire sur la neige et ainsi profiter d'Ecouves en manteau d'hermine.

On voit encore la chaussée par endroit... mon épouse n'est pas toujours rassurée mais elle sait que je ne panique jamais sur neige. La conduite est pourtant simple : on oublie la pédale de frein et on pilote le véhicule comme un canoë. Arrivés au pied des Ragottières à moins de trois kilomètres d'Ecouves,  une surprise nous attend : un panneau "Route barrée". Un responsable tremblotant de la Préfecture a dû croire que le ciel lui tomberait sur la tête s'il ne prenait pas toutes les mesures nécessaires pour protéger sa carrière en émettant toutes les interdictions possibles, évitant par là-même de se voir accuser de négligence. 

On ne se refait pas, je franchis l'interdiction. Vu l'état de la route, je dois être le premier rebelle du matin, quel plaisir de rouler sur ce tapis onctueux ! Nous nous garons dans le blanc silence du Vignage. Bien équipés, bien au chaud, les lutins vont trottiner sur les virginales pentes de la mère Ecouves.


Le premier plaisir de la neige, c'est ce crissement ouaté, ce gémissement subtil de la matière vierge que l'on foule. Personne n'est passé depuis l'aurore et nos pas sont pionniers. Une gomme de lait a transformé nos si familiers sentiers en nouveaux territoires d'exploration. Nous renouons avec ce plaisir enfantin de la découverte d'un nouveau monde. Pour quelques heures encore, nous serons les premiers...


La lumière n'est pas favorable au photographe, nous allons cheminer entre le blanc du sol et le gris du ciel, peu de nuances mais suffisamment de sensations pour qui sait s'ouvrir et vivre dans les délectables interstices de l'instant. 


De Pierre-Chien à la Croix-Madame, ce n'est que montée sous une douce ondée liliale. Nous nous arrêtons de temps en temps pour écouter le silence, le vrai, celui qui laisse entendre le son duveteux de l'air égratigné par les cristaux de frimas.

 
La neige chafouine chiffonne nos sentiers et nous nous égarons parfois mais l'instinct des lutins nous remet à chaque fois dans le blanc des lieux. Voici la Croix-Madame plantée en hommage à Louise de Savoie alors qu'elle était l'épouse de Monsieur, futur Louis XVIII Comte de Provence et Duc d'Alençon. C'est fou comment un simple carrefour peut faire ainsi voyager...


Nous dévalons par la route en direction du Chêne au Verdier. La chaussée, vierge depuis cette nuit, déroule une parfaite piste de ski de 1500m de long que personne n'empruntera hélas. Faire du ski, vous n'y pensez pas ! Et si vous tombiez ? Heureusement que les routes d'accès sont interdites.


Du Verdier au Vignage, le chemin est plaisant par la falaise surplombant les douces collines d'Ecouves. Environ dix kilomètres seuls au monde et nous retrouvons bientôt la civilisation. Nos traces ont dû ouvrir la voie car deux autres véhicules accompagnent notre automobile au pied du Vignage. La fonte a débuté et la route a perdu sa douceur de coton. Au pied des Ragottières, c'est redevenu une bête route noire à peine tavelée de quelques souvenirs neigeux. Et pourtant, Big Brother a maintenu son interdiction : Route barrée, je vous dis ! Route barrée au rêve, à la douce illusion de l'enfance, au blanc des sentiments qui adoucit le gris de la vie. Heureusement que cette interdiction ne s'adresse qu'aux pauvres lapins trémulants mus par l'effroi distillé à cor et à cri par des écrans à cran. 

Forêt d'Ecouves, 9 février 2018

1 commentaire:

  1. Très beaux instants givrés... Foi de Tonton, tu as fait de très belles photos.
    Je n'attends, personnellement, qu'un second 7 janvier 2010 pour que, sur tout le Pays d'Alençon ne soit plus audible que le bruit du vent, de la neige et les cris de joie des enfants et adultes jouant et gambadant avec la neige... Qu'il est bon, ce moment où aucune voiture ne circule, non pas par interdiction préfectorale, mais par impossibilité physique de rouler.
    Quoi qu'il en soit, mon cœur aussi en est encore enneigé !

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